Harcèlement moral au travail : le reconnaître et réagir

Le harcèlement moral ne se résume pas aux agressions verbales de votre chef ou de vos collègues, la plupart des abus sont plus subtils. Deux avocates spécialisées en droit du travail nous expliquent ce qui est considéré comme du harcèlement moral au travail, ce qui n’en est pas et comment réagir.

1 Ce qui en est...

Vous êtes surchargé

Les délais intenables et les accumulations de dossiers sont des cas fréquents de harcèlement moral au travail. Pour Maître Paragyios : « fixer les objectifs en cours d’année plutôt qu’en début est un grand classique. On s’assure de cette façon que le salarié n’ait aucune chance de les atteindre. » Une autre technique consiste à fournir des objectifs flous pour multiplier les risques que le salarié fasse quelque chose de travers.

Vous stagnez

« Ce qu’il faut, c’est comparer la situation avec un moment où tout se passait bien et analyser ce qui a changé. L’organigramme est très révélateur. Par exemple, dans le cas d’une mise au placard, il arrive que le salarié passe sans raison de N à N-2 », remarque Maître Paragyios. Vous êtes le seul de la boîte à ne jamais avoir d’augmentation, de promotion ou de nouvelles responsabilités ? C’est un signal d’alerte.

Vous êtes invisible

Vous disparaissez des envois d’e-mails collectifs, on ne vous tient plus au courant des changements d’heure ou de lieu des réunions, l’équipe dont vous êtes responsable reçoit ses instructions directement d’une autre source, ou, comme un client de Maître Touboul, vous disparaissez de l’organigramme de l’entreprise… Maître Paragyios se souvient même d’une affaire où « l’entreprise avait interdit à tout le monde d’adresser la parole à l’une des employés ! Obtenir des attestations des collègues comme preuve a été facile dans ce cas. »

2 Ce qui n’en est pas…

Les incidents isolés

Si vous vous reconnaissez une unique fois dans l’une des situations exposées plus haut, vous n’êtes pas victime de harcèlement moral. « Le code du travail dans son article L 1152-1 met l’accent là-dessus : il doit y avoir des incidents répétés, insiste Maître Touboul. Pas forcément sur une longue période : ils peuvent avoir lieu sur deux semaines. Il y a généralement un élément déclencheur. Par exemple, vous avez eu une promotion et pas votre collègue, et à partir de là, il fait de votre vie un enfer. »

Le stress

Il faut distinguer les techniques de harcèlement moral des périodes de rushs récurrentes et inhérentes à certains jobs comme les métiers fiscaux ou ceux du journalisme et de la communication, caractérisés par le respect de deadlines. Maître Touboul rappelle en outre « que chaque salarié a une résistance différente au stress. »

La mésentente entre collègues

En entreprise, certaines personnalités peuvent se heurter. À partir du moment où l’employeur n’encouragent pas ni n’instrumentalise ces incompatibilités, il n’y a pas de harcèlement moral.

3 Comment réagir ?

Identifiez la situation

« Les salariés connaissent la notion de harcèlement moral et en ont une idée assez juste, mais ils sont incapables de l’identifier lorsqu’ils en sont personnellement victimes », déplore Maître Touboul. Prendre conscience de votre mal-être et en reconnaître l’origine est donc la première étape.

Signalez le problème

« Légalement, l’employeur est obligé de prendre des mesures pour prévenir et mettre fin au harcèlement moral ou de sanctionner le harceleur le cas échéant », rappelle Maître Touboul, Pour cela, encore faut-il qu’il soit au courant de la situation. À vous de vous adresser aux délégués du personnel, au comité d’entreprise ou au Comité hygiène, sécurité et condition de travail (CHSCT), qui pourra lancer une enquête.

Entourez-vous

Les médecins du travail, les experts de l’inspection du travail, les psychologues et les avocats ont déjà eu affaire à ce genre de cas et pourront vous accompagner dans vos démarches. « Si le médecin constate une dégradation de votre état de santé, il peut également vous arrêter pendant une période », ajoute Maître Paragyios.

Fournir des preuves : mission impossible ?

C’est l’inconvénient majeur du harcèlement moral au travail : de nombreux abus étant verbaux, il est très difficile à prouver… Mais heureusement pas impossible.
Pour Maître Touboul, « il y a deux preuves royales : le dossier médical et les attestations des collègues. » Le problème ? « Ces preuves sont difficiles à obtenir car encore faut-il prouver que la condition médicale est liée au harcèlement moral. Quant aux collègues, ils n’ont pas toujours connaissance des faits et lorsqu’ils en ont connaissance, ils n’ont pas forcément intérêt à intervenir », explique Maître Paragyios.
Heureusement, il existe d’autres solutions. Conservez les e-mails, courriers et même SMS incriminants. Vous pouvez même aller jusqu’à enregistrer le harceleur à son insu. Attention, « cette dernière pratique est valable au pénal, pas devant les Prud’hommes », insiste Maître Paragyios. Quelques techniques sont plus originales. « Un de mes clients n’avait plus rien à faire de la journée, se souvient Maître Paragyios. Il avait été installé dans une pièce de 50 m2 littéralement vide. Il n’y avait même pas d’ordinateur. Nous avons utilisé les photos de l’endroit en guise de preuve. »